Sur quoi tu roules ? Le Gravel de Matt Surch

Des routes de campagne, de l'acier custom, des courses folles... Matt Surch nous raconte le Gravel canadien
Publié le 23/05/2016 08:48 -
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 Texte NicoJ - Photos Matt Surch

Si le Gravel français est encore à l'état embryonnaire, il en est bien autrement outre-Atlantique, et tout particulièrement au Canada. Une rencontre avec Matt Surch, un coureur très actif de la ville d’Ottawa, qui nous explique tout ça, le vélo qu'il a créé pour gagner ces courses, et tout le bon esprit qui va avec ce Gravel...

VDR : Salut Matt, peux-tu nous résumer brièvement ton passé cycliste, ton organisation sportive, professionnelle et familiale...
 
Matt Surch : J'ai 37 ans. J'ai toujours habité Ottawa au Canada. Après avoir fait beaucoup de hockey (comme tous les gamins d'ici), je me suis mis à fond au VTT à 16 ans, avec l'objectif de devenir pro.

J'ai probablement manqué de l'expérience d'un coach pour aller jusque là, mais j'ai tout de même couru en XC jusqu'en catégorie "Senior Expert", et en Descente en "Senior Elite". Après quoi je me suis concentré sur mes études en même temps que je suis passé au Dirt Jump et Skatepark.

Aujourd'hui, je cours en catégorie Elite sur la route et en cyclocross. Je cours les classiques de printemps en Gravel, route et critérium l'été puis cx à l'automne. J'y ajoute de longues sorties Gravel et VTT l'été, et un peu de fatbike l'hiver.

Sur le plan familial, je suis marié avec 2 enfants de 11 et 5 ans, que nous encourageons à passer un maximum de temps dans la nature. Ils sont d'ailleurs très autonomes, ce qui me permet de rouler environ 10h par semaine, dont mes trajets boulot (nous n'avons pas de voiture) et pas mal de home-trainer (et pas seulement l'hiver)

Après avoir longtemps bossé dans des bikeshops, j'ai maintenant un job de bureau pour Canadian Coast Guard, plus en rapport avec mes études, et surtout aux horaires plus stables, ce qui m'a permis de réellement m'investir dans l'endurance ces 8 dernières années. Avec cette organisation, j'arrive à 17-18000 KM/an.

VDR : Comment en es-tu venu au Gravel ?

MS : Je pense que ma passion pour le Gravel est réellement le prolongement de ce qui m'a toujours plu dans le vélo. S'amuser, partir à l'aventure entre amis...je me rappelle très clairement de mes premières sorties à 12 ans : dérapages, wheeling, sauts...je n'étais pas doué, mais j'adorais ! J'avais le parc de Gatineau à portée de pédales, que j'ai largement exploré seul ou avec mon frère ainé.

Après mes années de VTT, j'ai aussi du admettre je n'atteindrai jamais le top 10 national sans une prise de risque quasi mortelle. Et même après cette prise de conscience,  j'ai eu une série de blessures en dirt jump et skatepark qui m'a finalement ramené à une pratique plus axée sur l'endurance, et en particulier routière.

Comme je suis très passionné, je n'ai pas tardé à m'inscrire à une première course : la Almonte Paris-Roubaix, organisée par le plus vieux club d'Amérique du Nord, the Ottawa Bicycle Club. À ma troisième participation, j'ai enfin passé assez de temps en tête pour comprendre ce qu'il s'y passait...J'étais mordu. Le parcours comportait de nombreuses sections non goudronnées et les emprunter à pleine vitesse était génial. Ça a été une révélation, et depuis je la cours chaque année, et j'ai la chance de l'avoir finalement remporté en 2015 et 2016, non sans l'aide de toute mon équipe.

Mais pour en revenir à ce qui me plait dans le Gravel, c'est cet ensemble de paramètres à maitriser, et qui ne repose pas que sur le physique. Je ne suis pas le meilleur grimpeur, mais mes capacités de descendeur me permette d'être compétitif autrement, et les tactiques de pelotons sont moins marquées qu'en route.

Et puis l'autre aspect du Gravel ici dans l'Est du continent Nord-Américain, ce sont fantastiques communautés qui sont derrière chaque événement. L'ambiance et les repas d'après course sont d'un niveau sans équivalent. La référence absolue est celle du Deerfield Dirt Road Randonnee ou D2R2 (Vermont, USA). Le parcours de 185 km pour 4600m de D+ est déjà un monument, mais l'organisation, les ravitos, et la fête sont tout aussi incroyables. Nous essayons ici d'atteindre un niveau similaire lors de notre "Ride of the Damned" qui va avoir lieu dans quelques jours.

VDR  : Passons à ta machine. Ce Steelwool est une pure beauté, explique nous son histoire....

MS : Ah c'est une longue histoire, c’est en fait la synthèse de plusieurs vélos.

Steelwool était à la base la marque d'un petit shop d'Ottawa qui faisait fabriquer quelques cadres à Taiwan. Tandis que je courrais sur route, en cx, et en Gravel, eux ont appris le métier et commencé à faire leurs premiers vélos. C'est à ce moment que j'ai dessiné mon premier cadre, un route à gros pneus, le "sector 18" (hommage à la foret d'Aremberg) que j'utilise toujours. ll a été soudé au Canada par Sam Wittingham de Naked Bikes en Colombie Britannique.

Après cette première expérience, je me suis attelé à mon vélo de cx,  le "TrufflePig". Un premier a été réalisé par True North Cycles,. Je l'ai utilisé pendant 1 an. Il avait déjà les haubans cintrés (qui apportent un confort très appréciable, en particulier en cyclocross sur des prairies gelées), mais une géométrie classique de route (angle 73°/73° et 70mm de BBdrop). Après une mauvaise chute, il a finalement été remplacé par celui-ci avec quelques modifications, mais toujours la même géométrie, qui est bien adaptée au Gravel.

Les tubes sont des Columbus Spirit pour cadre à raccords. Ils sont plus fins que les tubes classiques à braser : le cadre est donc très léger et beaucoup plus flexible, et élastique. L'effet de planer et le flex du tube de selle fonctionne très bien pour mon pédalage, particulièrement en montée, même si je pense honnêtement que mon Cervelo (S5) grimpe encore mieux.

J'ai utilisé ces 2 vélos dans des conditions similaires et particulièrement rudes. Le "secteur 18" avec son BB drop de 80mm est encore plus stable en descente, mais les tubes plus épais fonctionne moins bien au pédalage. Bref le TrufflePig est vraiment mon préféré.


VDR : le choix de composants est un peu hétéroclite, on sent que ce n'est pas un vélo de salon...

MS : Avec mon passé de mountain biker, je ne porte que peu d'attention à l'assortiment des composants. Je les choisis avant tout pour leur retour sur investissement. Je n'étais pas fan de la durabilité des cocottes Shimano. J'utilise maintenant des Sram sur tous mes vélos, notamment car j'arrive à les réparer ! Je me contente du Force, le Red ne m'apporte rien de plus.

Je n'ai par contre jamais trop aimé les dérailleurs avant Sram, alors j'utilise actuellement un vieux Campa qui marche très bien. Après une mauvaise expérience sur un pédalier en carbone, je suis revenu à l'alu, et là il faut reconnaitre que Shimano est maitre. Je préfère également l'aluminium pour cintre et potence.

Enfin, les freins sont les V-brakes TRP,  bien supérieurs aux cantilevers.

VDR : et ces roues hautes...?

MS : Je suis particulièrement pointilleux sur les roues et les pneus ! J'ai l'impression de toujours avoir eu des problèmes de roues. Après des années de galères avec les premières roues de vtt et les pneus notoirement inadaptés, ainsi que plus récemment avec les montages tubeless aléatoires, il semble que nous arrivions enfin à maturité de ce côté là !

Depuis quelques saisons, j'utilise les roues en carbone de Woven Precision Handbuilts. Après une bonne expérience sur leurs roues à boyaux en cx, je les ai également testées sur route, mais je ne vois pas l'intérêt des boyaux sur route. Alors j'ai alors adopté la version pneu en 45mm l'an passé pour le Gravel. Elles sont fabriquées à la main à Ottawa, et sont particulièrement solides. J'ai même fini une course, à plat sur 3 km, de piste, et il n'y avait même pas une marque !

Cette saison, je suis passé aux 55mm, plus adaptées à nos courses où l'aérodynamique joue un rôle majeur, et tout spécialement avec des gros pneus.

Bien sûr, si le parcours comporte de longue montée ou descente, je préfère les 35 ou 45mm.

VDR : Vu ton expérience, pourrais-tu dresser le portrait du pneu idéal pour couvrir tous les types de Gravel ?

MS : Les pneus sont l'autre partie de l'équation, et je reconnais être un peu obsessif de ce côté-là. Mais la vie est simplement trop courte pour rouler sur de mauvais pneus !

Pour le Gravel, j'essaye toujours d'utiliser des slicks. Pendant longtemps, j'ai utilisé les Grand Bois en 28 ou 30mm, mais maintenant ce sont les Compass extra-légers qui sont encore meilleurs. J'utilise toute la gamme : 26mm pour les critériums, 32mm sur mon Secteur 18, et même 38mm quand le terrain est vraiment mauvais.

Mais mon favori du moment est le Compass Bon Jon Pass en version Extralight, un gros slick de 35mm et le seul à être Tubeless. Le Tubeless fonctionne bien avec un tel volume, sans être trop dur à monter ou à utiliser avec une  chambre le cas échéant.  Ils sont incroyablement souples, roulent vite et accrochent très bien.  C'est en fait le pneu qu'on attendait depuis longtemp.s

Dans certains cas, il faut malgré tout un peu de crampons, et dans ce cas mon choix se porte sur les Clément LAS (NDLR : des semi-slick de CX).

VDR Prochain accessoire pour ce vélo ?

MS : Haha, pas très glamour, mais il faut que je change mon Arione et ma guidoline. Je les ai respectivement tordus/déchirés en tombant lors de la  Rasputitsa Gravel Road race. Sinon, je viens d'installer des poulies de dérailleur Kogel à roulement céramique. Elles réduisent le frottement du au dérailleur clutch que j'utilise, c'est vraiment sensible.

VDR : Ton vélo diffère notablement des "Gravels" du marché, notamment de par son double plateau et ses freins à patins

MS : Je suis très content de ce montage. J'aimerai bien des freins à disques si ça ne changeait pas trop le poids de l'ensemble, ce qui n'est pas gagné... Le problème essenciel est que ce vélo est aussi mon vélo de cyclocross. Cela veut dire que j'ai déjà 4 paires de roues (dont 3 à boyaux pour le CX) et une à pneu pour le gravel. Alors le cout est totalement prohibitif, et maintenant que les roues sont assez solides et les v-brakes assez puissants, je reste avec cette configuration pour le moment.

Concernant le pédalier, le mono n'est pas prêt d'être utilisé dans nos courses. J'en monte un en 42 pour la saison de cx, avec une cassette 11-28 ou 11-32, mais pour les courses de gravel il faudrait un pignon de 34 ou 36....ce qui conduit à un étagement trop espacé.Ça marcherait très bien pour rouler tous les jours, mais en course tout est affaire de détail, et celui-ci est trop important.

VDR : Une idée pour un prochain vélo?

MS : Je ne sais pas encore. J'ai beaucoup de pistes, avec l'aérodynamique comme critère central, car les courses de Gravel ne se jouent pas que sur les montées. C'est hors de mon budget, mais le OPEN U.P.  me semble très intéressant, notamment pour pouvoir passer en roue de 650 sans changer de géométrie. Je ne suis pas non plus fixé sur un matériau. En ce moment, j'aime beaucoup le travail de Rob English. C'est un constructeur qui sait faire des vélos rapides et légers en acier. C'est pour moi le constructeur du 21ème siècle.


VDR : Quelle est l'histoire du Gravel canadien ?

MS : Notre course locale Almonte Paris-Roubaix est la plus vieille que je connaisse. Elle a été instaurée en 1999 par Ian Austen. Après avoir passé du temps à randonner en Europe, il a importé sa passion pour Paris-Roubaix quand il s'est installé à Ottawa. C'est devenu une classique. Presque en même temps à Toronto, son ami Mike Barry, a créé The Hell of the North.

Paris-to-Ancaster est plus récente, mais déjà énorme. Il y a presque 2000 partants et ça continue de grossir. Ces courses se déroulant en Avril, elles sont aussi un puissant motivateur pour poursuivre l'entrainement durant notre hiver qui est particulièrement rude.


VDR : Qu'est-ce qui est spécifique au Gravel canadien, en particulier par rapport aux courses américaines, Dirty Kansas, Trans Iowa, D2R2...?M

MS : La vraie différence vient du profil. Parce que nos courses au sud et à l'est de l'Ontario n'ont pas de gros dénivelé, les difficultés sont faites sur les secteurs techniques, et elles tendent donc à en avoir plus, ce que j'aime. Dans le Vermont (USA) il y a beaucoup plus de dénivélé, et c'est ce qu'utilisent les organisateurs pour rendre les courses sélectives. La Vermont Overland est unique parce qu'elle associe ces deux tendances.

La Dirty Kanza et la Trans Iowa sont très différentes: ce sont des courses monstrueusement longues. J'aimerai bien les essayer, même si je préfère nos formats plus courts.

VDR  : Tu es aussi un leader d'équipe, et un blogger actif. Il semble qu'il y ait vraiment une communauté et une énergie différente de celle de la route ?

MS : Oui, il y a une vraie communauté de coureur qui se retrouve sur ses événements. Il y a des riders d’Ottawa-Gatineau, Montreal, Quebec City, et de Nouvelle Angleterre. Tous se retrouvent sur ces événements, et les relations se développent bien. Je dirai que la Dirty 40 et la Rasputitsa Gravel Road ont fait beaucoup pour ça, car elles ont attiré les coureurs du nord du Vermont, et créé l'opportunité de faire connaitre les événements de part et d'autre de la frontière, ce qui a favorisé les échanges, qui ne cessent de s'amplifier.

Les organisateurs de courses s'entraident également. C'est aussi plus simple qu'une course sur route : il n'y a pas de route à fermer, d'escorte de police, etc...donc l'énergie peut être utilisée autrement que dans toutes ces tâches administratives.

Et puis surtout, l'ambiance est vraiment sympa. Il arrive de courrir avec des légendes comme Jeremy Powers ou Ned Overend. Et ils ne sautent pas dans un bus de team après la ligne d'arrivée. Ils restent discuter comme tout le monde.



VDR : Tu viens de finir la série des classiques de printemps avec de beaux succès à la clé, comment s'annonce le reste de l'année ?

MS : Oui, les classiques sont finies, et j'ai été content de mes résultats, surtout parce que l'équipe a bien fonctionné. Je leur en suis très reconnaissant.

Maintenant, je suis passé à la route, avec critériums tous les jeudis soirs, et l'objectif majeur sera notre championnat national qui se déroule à Ottawa cette année. C'est plat et avec beaucoup de virages ce qui est parfait pour moi. C'est particulièrement excitant de courir avec les gars du pro Tour une fois dans l'année. Ce sera une course difficile.

Après retour au Gravel pour la Vermont Overland. Là il faudra que j'ai perdu un peu de poids et travaillé en montée. Mon coéquipier Iain Radford et moi sommes très motivés par cette course, et nous travaillons ensemble pour nous améliorer. On a déjà fait top 10, mais on vise le podium.

Enfin moins sérieusement, mon objectif principal reste de m'amuser, de m'améliorer, et faire grandir notre petit club saison après saison.

VDR : Merci Matt pour ton temps et toutes ses explications

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